Source : Témoignage de Madame Adrienne Lacroix, née Daumur, recueilli par Henri Diot, professeur d’Histoire au collège Antoine de Saint-Exupéry de Varennes sur Allier, le 20 février 2008.
La Montagne Bourbonnaise, par son relief et son boisement, se prêtait très bien à l’installation de maquis, particulièrement à partir de 1943 et de l’instauration du STO qui a poussé nombre de jeunes réfractaires à se cacher. Les forêts sombres, les difficultés d’accès, la rudesse des hivers, mais aussi l’esprit de solidarité des populations ont favorisé l’installation de nombreux groupes de maquisards, notamment sur les territoires de Châtel-Montagne, Saint-Nicolas- des- Biefs, Arfeuilles, Lavoine et La Guillermie. Les rues du bourg de Châtel portent d’ailleurs les noms de déportés. Des liens se sont tissés entre les populations locales et les maquisards qui donnaient la main pour les travaux agricoles, beaucoup d’hommes étant retenus prisonniers en Allemagne. En échange de ces services, ils recevaient ravitaillement, caches et renseignements.
Ainsi, au village des « Brizolles » sur la commune de Châtel-Montagne, une grange sert-elle de cache pour un camion utilisé par un groupe d’aviateurs ayant rejoint le maquis. Cette grange appartient à la famille Daumur, dont le père, Claudius, est négociant en sabots. Non loin, une maison inhabitée (chez Drigeard) sert de PC aux combattants de l’ombre. Tout le monde au village connaît les maquisards qui viennent régulièrement chercher leur pitance, ou cacher du matériel. Les résistants sont là-haut « comme des poissons dans l’eau ». Mais les Allemands sont au courant de ces agissements. Il y a aussi des dénonciateurs, et nul n’est à l’abri d’aveux extorqués sous la torture. Est-ce pour l’argent, sous la pression, on ne le sait, mais un jeune du maquis surnommé « Plumeau » (de son vrai nom Bongrand) a parlé et donné précisément les renseignements qui amèneront à la sombre journée du 17 mars 1944.
Il y a beaucoup de neige ce jour-là. Il est 7 heures du matin, et une jeune fille des Brizolles, Odette Daumur, prend le chemin de l’école. Mais en route, elle aperçoit des soldats allemands, et elle fait demi-tour. Très vite, l’alerte est donnée au village. Il y a chez les Meunier des réfractaires au STO. Ceux-ci, au nombre de trois s’enfuient à travers champs. Le village est bouclé, les Allemands sont venus très nombreux, craignant la riposte des maquisards. La trentaine de camions venus de Roanne ne peuvent dépasser le Moulin Goutaudier, en contrebas, mais les soldats montent à pied et encerclent le hameau. Un fuyard, Léon Blanc, dit « Blum », est repéré. On lui tire dessus, mais il parvient à s’échapper, comme ses deux compagnons, Pierre et Marcel Meunier, avertis par Léon, domestique chez Daumur. Très vite, le piège se referme ; Devant chaque maison soupçonnée d’avoir hébergé des « terroristes », comme disent les Allemands, les habitants sont rassemblés : « Vous avez cinq minutes pour préparer vos affaires ! » C’est dans la panique que l’on jette linge et objets précieux par les fenêtres, le tout empaqueté tant bien que mal dans des draps. Les Allemands pillent les maisons, tuent les volailles, vident caves et saloirs, rassemblent le bétail en coupant les chaînes qui retiennent les bovins à la crèche. Puis ils font exploser les maisons avec des bombes incendiaires, et emmènent les hommes prisonniers. Claudius Daumur, Claudius Meunier, Louis Stalpaert et Alphonse Sérol seront déportés. La troupe repart à Roanne, emmenant butin et prisonniers. Roanne est à trente kilomètres, et les bêtes ne sont pas habituées à marcher sur les routes, leurs pattes meurtries tracent un chemin sanglant. Un cheval volé aux Stalpaert est attelé à une charrette pour convoyer tonneaux, viande salée et une vache dépecée sur place. Les soldats incendient avec des mégots le linge rassemblé par les pauvres gens terrorisés. Adrienne Daumur a seize ans, tout comme Lucienne et Madeleine Meunier, les filles Stalpaert sont à peu près du même âge. Le 17 mars 1944 reste gravé dans sa mémoire, sa vie a basculé ce jour-là.
La solidarité a joué entre villageois, tout le monde loge dans la seule maison restante, pendant trois mois. Puis, c’est un entrepôt familial, au village Rousset qui sera aménagé en maison d’habitation, jusqu’à ce que la maison des Brizolles soit recouvert et et rénovée. Il faut survivre après avoir tout perdu, les aides accordées par la commune, les cartes d’alimentation prioritaires sont bienvenues, mais ne permettent pas par exemple de poursuivre des études. Travailler est une nécessité incontournable. Surtout, la perte d’un père est une épreuve terrible.
Claudius Daumur a été interné à Roanne, puis Saint-Etienne, au fort de Montluc à Lyon, et à Compiègne d’où un train l’emmena, lui et ses compagnons d’infortune, au sinistre camp de Neuengamme. Il n’en est pas revenu. Sur les quatre hommes des Brizolles arrêtés et déportés, seul Alphonse Sérol est revenu. De la détention de Claudius au camp de Neuengamme, il ne reste qu’une lettre, écrite en allemand, et visiblement dictée par les gardiens, malgré la signature attestant que le prisonnier vivair encore au mois de décembre 1944. Claudius Daumur est mort en Allemagne, à Neuengamme, près de Hambourg, en mars 1945.
Dépalle et son fils moururent en déportation. Les autres furent libérés après quelques jours d’emprisonnement, mais le jeune René Dégoulange devait mourir quelques mois plus tard des suites de cette incarcération.
Il est une des nombreuses victimes de la répression féroce qui s’est abattue sur ce paisible coin du Bourbonnais, où l’esprit de solidarité et le patriotisme étaient solidement ancrés.
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