On peut parfois s’interroger sur les effets des évolutions en matière de communication sur la production, la conservation et la transmission des mémoires du temps.
Les formes écrites et plus généralement graphiques des traces peuplent les réserves des musées, les bibliothèques et les rayons des archives… et outils et méthodes pour en disposer et les exploiter se sont perfectionnés au fil du temps pour partager au mieux la connaissance et la compréhension du monde.
C’est la découverte d’un petit fascicule dans un monceau d’archives qui peut conduire à une réflexion sur la production, la conservation et la diffusion de l’information.
Le fascicule consultable ci-dessous n’est pas daté. Edité par Havas à Besançon on peut imaginer qu’il a été produit sans doute au tout début de la guerre avant le 11 novembre 1942 et en tout cas avant le 1er mars 1943…
Le second document qui l’accompagne ci-dessous, et fabriqué maintenant, le traduit en cartes avec en complément une carte contemporaine du fascicule conservée aux archives de la Somme figurant le tracé de la ligne de démarcation.
Le papier d’hier, servi par le truchement du numérique devient accessible à une multitude… un peu comme jadis les presses de Gutemberg allaient démultiplier l’accès à la connaissance que les grimoires des copistes réservaient auparavant à quelques initiés.
C’est une nouvelle Révolution, un changement d’échelle dans l’évolution !
Du papier d’hier au numérique d’aujourd’hui…
Depuis près d’un demi-siècle, l’intrusion massive du numérique dans le paysage a bouleversé les pratiques et chahuté des usagers aussi peu préparés au changement qu’ils sont toujours écartés de la compréhension du fonctionnement d’un système qui s’emballe en frappant d’obsolescence tout ce qu’il dépasse.
Le numérique a introduit deux changements majeurs dans la manipulation et dans la diffusion de l’information avant d’en arriver à la génération de l’information avec la dite « intelligence artificielle » aujourd’hui : la massification et l’accélération.
Qui a connu les premiers supports de mémoire illisibles à l’œil sur les cartes perforées proches cousines des cartes des orgues de barbarie s’était émerveillé devant les premiers supports magnétiques, disquettes souples, puis rigides, puis disques durs emmagasinant des volumes inconcevables auparavant en si peu d’espace physique. Puis ce furent les disques laser, les CD, les DVD… Et puis les mémoires statiques de composants minuscules encapsulés dans la coquille plastique des clés USB ou des cartes mémoires… En même temps que les technologies d’écriture-lecture évoluent, les supports changent, rendant pour beaucoup illisible les informations enregistrées la veille…
L’arrivée des réseaux, de l’Internet et des serveurs géants, des datacenters, du « cloud » fait entrer dans une nouvelle dimension où la numérisation s’accompagne d’une forme encore plus aboutie de dématérialisation qui éloigne définitivement l’écriture de la lecture en faisant de l’interface qui les sépare et qui les lie une boîte noire étrangère aussi bien à l’émetteur qu’au récepteur. La pratique des réseaux sociaux et les smartphones véritables couteaux suisses en sont les derniers avatars avec un empire des technologies numériques qui fait de ses usagers des marionnettes filoguidées sur leurs canaux générateurs de profits.
L’important n’est plus la matière, mais le flux… n’est plus l’information mais la masse de ceux qui la propagent sans nécessairement l’avoir comprise et dans l’incapacité d’en assurer la validité…
La richesse des cultures du monde, depuis les temps les plus anciens s’est tracée et transmise dans une multitudes de langues, d’alphabets, de vocabulaires et de grammaires, fragiles par le seul truchement de l’oral, plus solides par l’écrit sous toutes ses formes.
Aujourd’hui, dans la galaxie numérique, la langue commune et sa grammaire ne sont pas accessibles à la quasi totalité des usagers et peut-être faudra-t-il que se manifestent de nouveaux Champollion pour faire ressurgir de mémoires illisibles les richesses créatives de quelques passés parfois très récents. L’exemple typique des animations codées en « flash » en témoigne : plus de lecteur capable d’afficher à l’écran les animations vectorielles très prisées il y a quelques années…
Aucune velléité nostalgique dans ce propos… simplement une alerte en imaginant qu’il serait utile et bénéfique pour l’intelligence commune de nos sociétés que la citoyenneté numérique passe par un apprentissage raisonné d’un univers dans lequel l’individu ne soit pas spectateur-consommateur mais partie prenante d’un collectif acteur-créateur… Si l’Homonuméricus doit succéder à l’homo sapiens sapiens il lui faudra aussi être sapiens sapiens, celui qui sait qu’il sait !
De temps en temps on peut avoir la fâcheuse impression qu’on s’en éloigne dans des sociétés qui oublient leur histoire avec des foules qui sont plus facilement abonnées au stade ou à Netflix qu’à la médiathèque ou aux urnes.