Lucien DEPRESLES

Meillard, le samedi 19 février 2022

Hommage à Lucien DEPRESLES

Nous sommes nombreux présents à notre dernier rendez-vous avec Lucien, nombreux pour partager avec toute sa famille la peine immense dont sa disparition nous accable.

Jean, Michel et Simone, petits enfants et arrière petits enfants, nous partageons votre chagrin dans ce deuil qui s’ajoute à tant d’autres.

Nombreux sont aussi celles et ceux qui, retenus loin d’ici, nous demandent de bien vouloir excuser leur absence. Ils sont de tout cœur avec nous pour partager le souvenir de Lucien.

Né en 1923 à Cressanges, Lucien DEPRESLES avait grandi sa jeunesse ici dans un entre-deux guerres en tension entre la montée des périls fascistes et les espoirs du Front Populaire. Toute sa vie restera marquée par ces deux combats dans ses engagements dans la Résistance et pour le progrès social.

Il avait obtenu le Certificat d’Etudes primaires en 1936. Mais il était sorti de l’école 50 jours avant ses treize ans, pour aider à la ferme où son père était malade. Il était travailleur de la terre et son engagement dans la Résistance va sceller toute une vie d’engagement dans le secteur associatif et dans la vie politique locale pendant plus de trois quarts de siècle.

Militant associatif, responsable local et départemental, dès l’immédiat après-guerre Lucien s’est engagé à l’ANACR, puis à la FNDIRP et plus tard à l’AFMD, la mémoire de la Résistance à laquelle il avait participé et celle de la déportation qui lui avait pris sa mère lui étaient chères. Il a aussi été membre titulaire du tribunal des Pensions Militaires de l’Allier de 2009 à 2011.

Militant communiste dès 1940 Lucien DEPRESLES sera plus tard élu à Meillard conseiller municipal et maire adjoint de 1953 à 1963, puis maire de Meillard de 1963 à 1989.

Aux Champs, la Résistance fait l’histoire en famille. Lucien Depresles, jeune d’à peine 17 ans à la déclaration de la guerre, est dans une famille et un milieu qui ne supportent ni la capitulation ni la collaboration pétainiste. La défense de la République et de ses valeurs, de la liberté et de l’indépendance de la France sont les moteurs de leur engagement. Modestement, il disait souvent qu’il n’a rien fait d’autre que son devoir mais c’est un engagement de tous les instants, combien risqué et combien courageux qu’il a partagé avec ses proches.

Ce sont ces cinq années d’une vie tourmentée dont nous voulons vous faire partager la mémoire en suivant les pas de Lucien pour que son souvenir nous accompagne encore longtemps et puisse nous éclairer quand l’horizon s’assombrit, quand c’est la Résistance qui porte l’espérance.

De l’engagement : des idées à l’action

Militant à I’UJARF (Union des Jeunesses Agricoles Républicaines de France) dès 1938, Lucien Depresles a adhéré au Parti Communiste clandestin en novembre 1941. Auprès d’Armand Berthomier, son voisin au village des Champs, il participe à la réception et à la diffusion des tracts et des journaux clandestins sur les communes de Meillard et de Treban.

Après l’arrestation d’Armand Berthomier en janvier 1942, Lucien et ses camarades sont sollicités par Roger Fort de Lafeline pour le cercle de la Jeunesse et par Francis Miton de Bresnay pour le PCF clandestin.

Il poursuit avec eux la distribution des tracts et des journaux et travaille aussi à la récupération des armes. Auprès de Tonio, un clandestin portugais qui travaillait avec Lucien à la ferme de Malfosse chez Jean-Louis Bidet et Francis Cognet, ce sera un premier révolver. Plus tard, Lucien récupérera des armes cachées par Fernand Thévenet à la débâcle chez Emilienne Bidet à Treban cachées ensuite dans un chêne têtard à Chapillière : sept fusils Lebel et un fusil mitrailleur. Lucien va confier les fusils aux combattants du Camp Hoche et cacher le fusil mitrailleur qu’ils trouvaient trop encombrant dans le tas de betteraves à la cave des Champs avant de l’enterrer dans un champ. Edmond Petit qui connaissait la cache l’a ensuite fait parvenir au maquis de Saint-Eloi.

Le guide de l’installation du Camp HOCHE

Après de nombreux contacts entre Edmond Civade et Tilou Bavay, c’est le secteur de Meillard qui est choisi pour l’implantation du camp qui devait accueillir les clandestins du groupe armé de Montluçon Ville grossi des jeunes empêchés de partir dans le train de la réquisition du 6 janvier 1943. Tilou Bavay était un habitué du village des Champs depuis plusieurs mois ; il y venait rencontrer Edmond Petit qui travaillait chez les Berthomier à la ferme d’en-bas.

Lucien Depresles fait partager l’idée d’accueillir le maquis à son père. Le 19 mai 1943, Georges Gavelle leur est présenté par Tilou Bavay. Il resta coucher chez Depresles dans une chambre de fortune aménagée au grenier pour les « passagers ». Au petit matin du 20 mai Lucien a réveillé Georges Gavelle pour descendre dans les bois des Champs au fond de la vallée du Douzenan. Le lieu était sûr du côté nord, protégé par le village des Champs sur le plateau. C’est ainsi que s’est décidé l’implantation Camp Hoche.

Lucien Depresles s’occupe alors du ravitaillement des maquisards, il va au Theil chez Gaston Faulconnier, à Lafeline chez Roger Fort ou encore à Besson chez Robert Joyon. De ses tournées, Lucien Depresles ramenait des légumes, quelquefois de la viande avec la tuerie du cochon. D’autres fois Lucien allait jusque chez Pelletier, à la coopérative à Saint Pourçain ; et là, avec pour mot de passe un point d’interrogation écrit dans la main, il rapportait un kilo 500 de viande ! Plus tard les maquisards se débrouilleront seuls avec les abattages clandestins dans les fermes des environs. Au village des Champs, les Berthomier et les Neuville participaient à l’approvisionnement du camp en volailles.

A l’approche de l’automne, quand le maquis a déménagé à Veauce, Gavelle et Huguet revenaient régulièrement aux Champs au ravitaillement.

Du légal au clandestin, en route vers le maquis Danielle Casanova

En octobre 1943, Lucien Depresles avait été chargé de récupérer Jean Burles, responsable national du PC clandestin après son évasion de la prison du PUY ; il le prend en charge au domaine des Planches à Lafeline chez les Tabutin et le ramène aux Champs où il est logé chez Alphonsine Neuville. Une semaine plus tard, c’est son frère Jean qui va convoyer Jean Burles jusqu’au Pont de Chazeuil en vélo pour le confier au responsable départemental du PC clandestin André Puyet avant de revenir à Meillard avec les deux vélos.

Lucien Depresles refuse de rejoindre les Chantiers de jeunesse ; début novembre 1943, trop exposé il va se cacher chez Francis Cognet aux Cantes à Cressanges. Il participe toujours au recrutement des FTP tout en travaillant à la ferme, clandestin sans carte d’alimentation…

Après l’arrestation de sa mère et de sa sœur le 21 mars 1944 Lucien repart chez Pinet-Morgand au Petit Bout puis chez Auberger à Tronget aux Bérauds pour un mois.

En ami de la famille, le père Claude Desforges de Saint Plaisir lui offre alors l’hospitalité. Lucien y retrouve un autre clandestin montluçonnais avant de rejoindre le maquis Danièle Casanova le 10 juillet. Il y retrouve les soixante-dix combattants installés à Renaudière d’où ils partent en opération dans tous les environs.

Tout nouvel arrivant, pendant le fameux périple du 14 Juillet, Lucien reste au camp avec Charles Léger (La Pipe) et son groupe d’une vingtaine de maquisards. Les autres sont partis sous le commandement de Jean-Louis Ameurlain afficher au grand jour des forces de la Résistance et mobiliser la population qui vient les voir défiler à Treban, Cressanges, Chatillon, Souvigny, Besson, Bresnay, Châtel de Neuvre et Meillard. Ça ne passe pas inaperçu…

Le lendemain dans un accrochage à Chapillière un soldat Allemand est abattu, un second s’échappe et donne l’alerte. Le soir même du 15 juillet, le camp est attaqué à la tombée de la nuit.

Les résistants, repoussés par les Allemands au carrefour de Chapillière sont pris en tenaille, et doivent évacuer le camp. Connaissant très bien le terrain, Lucien prend le commandement de l’opération. Avec les frères Aurembout il conduit ses camarades par des sentiers qui lui sont familiers dans les bois et à travers champ à l’abri des haies. Ils rejoignent le bois de Peuron au milieu de la nuit et y restent terrés jusqu’au lendemain soir. Ils arriveront à Besson au petit matin du 17 juillet dans les bois à l’abri à proximité du château avec la complicité bienveillante du Prince de Bourbon. Ils sont assoiffés et affamés ; dans le petit groupe de Lucien ils n’ont à partager qu’une maigre musette de ravitaillement pour huit.

La nuit suivante, Lucien Depresles est de garde dans l’allée en lisière du bois face à la route Bresnay-Cressanges quand il voit passer le long convoi des GMR et de la Milice qui s’éloigne vers Cressanges… Soulagement, ce n’est pas pour eux.

Ils allaient à la ferme de Villars à Noyant pour en déloger les maquisards du groupe Villechenon. Mais les mêmes allaient revenir et s’attaquer aux maquisards de Casanova à la mi-journée.

Le déséquilibre des forces imposait à nouveau de tenter une dispersion pour échapper à l’encerclement. Cette fois c’est par petits groupes de 7 ou 8 que les résistants s’enfuient.

Le groupe de Lucien Depresles part vers Cressanges, des Vernasseaux vers la route de Moulins. Ils remontent à I‘abri des haies sous le feu des GMR et profitent du couvert d’un champ d’avoine où les Barichards moissonnent. L’avoine les protège de la vue des assaillants mais au moindre mouvement qui faisait onduler la paille, les décharges de chevrotines pleuvaient… L’orage s’abat sur le champ d’avoine, vers 17 heures les forces de Vichy s’en vont, les résistants couchés dans les fonds des billons de cinq tours sont trempés jusqu’aux os ! Le groupe de Lucien, avec Georges Aurembout, trois ou quatre gars de Souvigny, et Jean Baptiste Frière pas très loin, accompagne Cussinet qui va faire soigner son pied criblé de chevrotines chez les Chalmin au Village à Cressanges où ils seront rejoints par une vingtaine d’autres pour se reposer après cinq nuits sans sommeil…

Les Allemands avaient pris le relai de la police de Vichy pour surveiller tous les environs. Pour leur échapper et partir de là, les Résistants se séparent en groupes de deux. Avec un autre, Lucien part en direction de Châtillon puis au Petit Bout, un lieu sûr pour dormir à l’abri dans la grange pendant deux jours. Cette halte a permis après un contact de voir arriver le père Francis Depresles qui ramena son fils et une demi-douzaine d’autres maquisards aux Champs, pour les cacher dans les bois pendant quelques jours.

Le 25 juillet Lucien Depresles et Louis Allègre, Lucien et Georges Aurembout, Jean-Baptiste Frière, Paul Létrillard et le parisien partent dans une maison des Cailles de Besson.

Deux jours plus tard le responsable du ravitaillement, Dory (qui sera fusillé à Saint-Yorre), est arrêté avec Jules et Albert Berthon. Quenisset et Véniat informent les fuyards qui reviennent jusqu’aux Champs. Ils n’en repartiront que le 14 août pour le Roc à Treban près de la ferme des Avignon où ils passeront le 15 août.

Avec Louis Allègre et Lucien Aurembout, Lucien Depresles va réquisitionner une voiture à Soupaize avant un rendez-vous au Pigeonnier où Burlaud et Sapin leur ont livré un camion pour rejoindre Coulandon le lendemain.

Avec ses camarades Lucien constituait une équipe volante, sans lieu d’attache fixe. Ils participent à une petite vingtaine à la rafle de la garde du pont Régemortes (huit soldats Allemands pris avec leurs armes). Opération réussie les maquisards reviennent à la carrière de Meillers, cantonnés sous les baraques de chantier de la carrière. Ils se dispersent ensuite dans les fermes des environs vers la forêt et l’étang. Ils y restent, en occupant le château des Salles, du 25 août jusqu’au 6 septembre pour participer à la libération de Moulins où ils  se cantonnent au Quartier Villars le premier soir où le commandant Brigand assure la défense de La Madeleine…

Le cantonnement se déplace ensuite à l’Ecole Normale au nord-est de la ville. Quand 70 combattants partent en renfort pour encercler les Allemands à Saint Pierre le Moutier Lucien participe à la récupération des armes des GMR en Sologne Bourbonnaise avec le commandant Brigand.

Après l’action clandestine Lucien s’engage dans l’armée de la Libération.

La plupart des maquisards ont signé leur engagement pour la durée de la guerre ; l’Etat-major FFI FTP avait organisé des formations pour les officiers et les sous-officiers à Châtel Guyon. En novembre 1944 Lucien Depresles y participe parmi les sous-officiers. Mais sa formation a été interrompue par deux mois de maladie suivis de deux mois de convalescence.

Le printemps 1945 verra la terrible épreuve du retour de déportation de sa mère qui n’y survivra guère en s’éteignant le 15 mai 45.

Lucien rejoint la caserne à Montluçon en juin 45 pour être envoyé 2 mois plus tard dans l’Est à Saint-Louis près de Bâle, où 3000 Allemands sont gardés prisonniers dans une ancienne usine de pièces d’aviation. Avec trois officiers et une vingtaine d’autres soldats Lucien sera leur gardien et c’est là qu’il sera démobilisé fin novembre 1945.

C’est le terme de cinq années terribles, partagé entre l’immense soulagement de la Libération et le chagrin immense à la pensée de celles et ceux qui, l’ayant payée de leur vie, n’ont pas pu la connaître.

Un « monde d’après »

Après, c’est le retour à la vie et au travail… et à l’engagement citoyen. Ce sera aussi le temps du « plus jamais ça », le temps de la transmission et de l’éducation.

Pas un héros… mais un homme, un citoyen, parmi tant d’autres pétris de convictions et de valeurs qui se consacrent au bien des autres… Il rejoint aujourd’hui le long cortège des Perot, Livernais, Berthomier, Bidet, Joyon, Bavay, Burlaud, Quenisset, Fort, Auberger, Faulconnier, Aurembout, Guichon, Miton, Allègre, Guillot, Raffestin, Tantot, Neuville, Tabutin, Marchais, Gavelle, Ameurlain, Chalmin, Godet, Dufaut, Pouzat, Bellien, Bonnot, Lanusse, Villatte, Ramos…

Lucien a travaillé pendant des années à la transmission de la mémoire de la Résistance auprès des plus jeunes générations. Aucun des jeunes passés par ici, Jeannine Dufour peut en témoigner pour l’avoir accompagné, aucun n’oubliera ces moments de découverte et de partage de la connaissance avec Lucien comme avec ses complices Robert Fallut ou Roger Vénuat… La valeur de ce qu’ils ont fait n’a eu d’égale que leur modestie.

La reconnaissance de ce parcours aura été bien tardive. Ce n’est que le 30 décembre 2016 que le nom de Lucien Depresles figurera au Journal Officiel de la République dans la liste des promus au grade de chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur. C’était au terme d’une bonne vingtaine d’années de nos démarches que nous l’avions fêtée le 1er avril 2017…

C’est aussi grâce à la bienveillance exigeante de Lucien et de tous ses camarades fondateurs de l’ANACR que le relais a été pris ici naturellement par notre génération et qu’il sera bientôt repris par une autre pour continuer de faire vivre la mémoire et les valeurs de la Résistance sans qu’aucun d’entre eux ne soit jamais oublié.

Sans ces derniers grands témoins acteurs de la Résistance nous entrons dans un « monde d’après ». Le respect que nous devons à l’héritage mémoriel qu’ils nous laissent nous oblige à la poursuite persévérante du travail entrepris avec eux, pour donner à l’histoire une figure humaine et ouvrir aux jeunes générations la perspective des « Jours Heureux ».

Merci de bien vouloir nous excuser d’avoir été si longs. Mais c’est bien le moins que nous devions à la mémoire de Lucien Depresles, d’une de nos dernières figures de la Résistance populaire, de celle de notre terre bourbonnaise, de leur reconquête périlleuse de la paix, de la liberté et de la démocratie.

Ce soir le village des Champs s’endormira un peu comme orphelin d’une de ses racines ; mais nous allons tous repartir emportant avec nous le meilleur souvenir de Lucien, avec son sourire malicieux et un peu de ses espérances.

Merci Lucien.

Salut et fraternité, camarade.