Des dégâts collatéraux !
A l’occasion du travail entrepris à Noyant d’Allier pour une initiative autour des mémoires qui se croisent dans ce village du bocage bourbonnais (travailleurs émigrés d’Europe de l’Est à la mine, rapatriés d’Indochine, réfugiés d’Asie du Sud-Est et mémoire de la Résistance) un document nous a été communiqué par la famille Ardouin…
78 ans après, le récit de Léon DEZAMAIS évoque « le temps d’après » de l’embuscade du Rocher Noir, conduite à Châtillon en juin 1944 par Jean-Louis Ameurlain avec 7 autres maquisards du Camp Danielle Casanova…
Récit de Léon DEZAMAIS
« …
Je suis domestique agricole dans une ferme depuis 1939, dont une partie de la propriété longe la route de MOULINS-MONTLUCON, lieu-dit « Rocher Noir ».
Agé de 19 ans, je suis convoqué à me rendre à la Mairie et à la Gendarmerie de NOYANT, ma commune, pour le recensement du S.T.O. Après concertation avec mes Parents et mes employeurs, je ne me suis pas présenté à ces deux rendez-vous. Donc je rentre dans la clandestinité, avec tout ce que cela comporte.
A la ferme, une partie de mon travail consiste, tous les matins et le dimanche c’est à mon gré, de veiller sur les bêtes du cheptel qui sont « aux champs » dans ces pacages qui longent la route.
Ce jour-là, 18 juin 1944, aux environs de 15 heures, je vais donc « voir les bêtes », car dans la matinée nous avions entendu une explosion assez sourde, qui venait de cette direction, sans trop s’en inquiéter.
Arrivé dans le pacage je ne vois rien d’anormal, tout est calme, les bêtes sont tranquilles.
Je précise qu’une partie de ces pacages est fait de broussaille assez épaisse en cette saison de l’année.
N’ayant rien vu d’anormal, j’entreprends mon retour à la ferme et tout à coup : c’est le drame.
Une dizaine de soldats Allemands sortent de derrière les buissons en tirant des coups de feu, et se précipitent sur moi, criant, hurlant, « terroriste, terroriste » et m’encerclent.
Je ne suis pas blessé, mais j’ai tellement peur que je suis figé sur place, ce qui m’a sauvé.
Vu leur excitation, j’aurais fait une bonne cible si j’avais essayé de m’enfuir. Ils me crient des ordres que je ne comprends pas, ça va vite, ils me prennent par les bras et sans ménagement me descendent sur la route. Là je comprends la situation.
Dans toute cette excitation, des cris, des ordres, des coups de pieds, je ne comprends pas ce qu’ils veulent, avec un peu plus de calme, un grade me fait comprendre ; il faut que je change les roues éclatées par des neuves qui sont dans un camion. (je suppose qu’ils sont allés les chercher a MOULINS)
Je ne sais pas comment m’y prendre » le calme ne doit pas faire partie de leur tempérament, ça donne des coups de pieds, sans doute des injures, des cris dans les oreilles à en devenir fou.
A cette époque ce genre de travail n’était pas fait dans nos campagnes, et puis la peur, en plein soleil en ce mois de juin, il fait très chaud, je suis habillé que d’un pantalon, une chemise, une casquette et chaussé d’une paire de sabots.
j`ai une montre (gousset) un couteau et des tracts dans ma poche de culotte ( tracts que l’on trouvait dans les champs à cette époque de la guerre).
Un moment après, je vois arriver deux autres hommes encadrés par des Allemands, ils sont plus âgés que moi, je les connais, ils sont de la commune de Noyant. Un des deux comprend l’allemand, il nous traduit ce qu’il faut faire mais ces excités trouvent que ça ne va pas assez vite, les coups de pieds sont distribués sans ménagement. Et tout ça jusqu’a environ 19h. (je regarde ma montre en douce).
Le travail terminé, nous sommes séparés. Ils nous font monter chacun dans un camion différent. Je me trouve au milieu du convoi, debout au milieu de ces soldats armés jusqu’aux dents. Je suis si fatigué, tout a été si vite, on prend la direction de Moulins.
Nous arrivons, je reconnais le Lycée Banville, tout le monde descend, l’accueil n’a pas l’air très chaleureux, tous ces abrutis sont sur le pied de guerre,
Il y en a une pleine cour, et ça crie et ça hurle à en devenir complétement fou. Ils nous font prendre la direction du mur de la cour. Les mains en l’air, avec dans le dos des Allemands qui se chargent de nous faire comprendre qu’il faut rester tranquille, le bruit des culasses et toujours des hurlements, mais les coups se sont arrêtés. La peur toujours présente, plus que jamais moi qui n’était jamais sorti de ma campagne.
La nuit tombe, ils nous font descendre dans la cave de la conciergerie, il y à déjà beaucoup d’hommes, combien ? Je ne sais pas.
Combien de temps sommes-nous restés dans cette cave, peut-être une heure, je n’ai même pas la présence d’esprit de regarder ma montre. Je suis dans un état second, je pense à la mort, personne ne prononce une parole. Ma pensée va à mes employeurs qui doivent être inquiets de mon absence et à mes Parents qui vont être avertis de ma disparition.
La porte s’ouvre, on vient nous récupérer tous les trois, tout est calme. Ces soldats sont très calmes, ça change. Ils nous emmènent à la « Mal-Coiffé », prison de l’époque. On entre dans un vestibule, mal éclairé. On nous oblige à vider nos poches, séparément, sur un comptoir (fait du hasard les tracts sont pliés à l’envers) l’Allemand prend le tout et le met dans un sac, qu’il dépose sur un rayon avec notre nom (ou numéro) je ne sais pas très bien.
Je suis séparé de mes compagnons, direction les escaliers qui montent aux cellules, on me jette dans l’une d’elle. Plusieurs personnes y sont déjà, un des prisonniers, assez âgé est très mal, il est blessé à la tête, il vient vers moi, il essaie de me réconforter, il a l’air très instruit, il me pose des questions sur le débarquement. J’essaie de lui raconter le peu que je sais. Je lui dis à l’oreille que ça doit être réussi, il a de la joie.
On me donne une couverture, une » paillasse » habitée par la vermine, on m’indique où l’on fait ses besoins « les tinettes ».
Je ne peux pas dormir, tant d’événements en si peu de temps.
Lundi matin, il faut descendre les tinettes, et on remonte avec du pain, peut-être autre chose je ne me souviens pas. Je n’ai pas le temps de manger, un Allemand vient me chercher, en bas des escaliers il me confie à deux autres Allemands armés puis on prend la direction de la Kommandantur, que je découvre, à l’autre bout de la ville. A pied entre ces deux soldats, il faut marcher vite et avec mes sabots ce n’est pas si facile. Arrivés, on me fait entrer dans une pièce assez grande, debout devant un bureau, il n’y à personne.
Un moment après, un officier arrive, il est assez jeune, cravache à la main.
Il me questionne sur l’attentat du » Rocher noir » : » terroriste, communiste ? »
Il parle très bien le Français (mieux que moi qui parle bourbonnais).
L’interrogatoire dure peut-être une heure, avec toujours les mêmes questions qui reviennent, mes connaissances sur les terroristes, mon emploi du temps, toujours les mêmes réponses, je ne connais pas. Parfois je sens qu’il s’énerve, il parle très fort, il cite les blessés de l’attentat, il ne me frappera pas.
L’interrogatoire terminé, je suis reconduit a la prison, toujours accompagné de mes deux gardes et toujours à pied. Ça durera toute la journée du lundi.
Mardi ça recommence moins souvent.
Le soir du mardi (20 juin), un Allemand vient me chercher, il est environ 17 heures, il me fait descendre dans l’entrée ou nous avons déposé nos objets personnels, mes deux compagnons sont là. Un Allemand nous remet nos affaires. Un Officier nous dit, en français : « vous êtes libres ».
A ce moment-là j’ai pensé à ce compagnon qui souffrait de sa tête, j’ai demandé à remonter dans ma cellule pour prendre mes « affaires ». Demande accordée. Accompagné d’un garde je lui ai donné ma casquette, acte irréfléchi, sans doute !
Nous sommes libres, mais sans papier, comme il faut un laisser-passer pour traverser le pont Régemortes « ligne de démarcation ». Après avoir discuté avec mes compagnons, je prends la décision d’aller à la Kommandantur pour leur demander un « laisser*passer ». On m’introduit dans un bureau, un officier est là, coïncidence c’est le même qui m’a interrogé. Je lui expose notre situation, il me fait ce papier et en français il me dit : « c’est un oubli de ma part ».
Nous voilà donc sur le chemin du retour, il se fait tard, (22 km de marche dans les sabots) (kilométrage contrôlé par moi-même bien des années tard).
J’arrive a la ferme, je n avais pas d autres endroits plus près pour me réfugier.
C’est la joie dans cette famille, je suis sale, plein de vermines, les pieds en sang, tout le corps qui me fait souffrir. On me fait laver, la patronne me fait à manger, je ne peux pas manger, toute la famille est réunie autour de moi, tous me posent des questions, je ne peux même pas répondre, je suis à bout de forces, et puis cette peur qui me paralyse, qui est restée bien des jours après.
Le mercredi matin, je suis parti à vélo rassurer mes parents qui avaient perdu tout espoir de me revoir vivant.
Revenons au lundi matin ou un Fils de la maison (qui avait fait la guerre en 1939) est allé prévenir mes Parents de ma disparition. Depuis la retraite de mon père, ils habitent la commune de Cressanges. Tout les deux ont passé une partie de la journée à me chercher dans les broussailles avec la crainte de me trouver mort, tué par les Allemands.
Comme auparavant j’avais comme mission, organisée par ma patronne, de porter une fois par semaine du ravitaillement dans une famille habitant les corons à Noyant dont le mari est dans la Résistance (Camp 14 juillet).
Je n’ai donc eu aucune difficulté a être admis dans ce Camp.
Dans le Camp nous avons appris que le 18 juillet, un mois après mon arrestation les GMR et la Milice avaient attaqué le domaine de » Villars », situé sur la commune de Noyant, et ou il y avait un groupe de Résistants.
Après avoir fait leurs actes de barbarie, propres à leur renom, ils sont arrivés dans ce petit bourg.
Voilà le récit d’une jeune fille, que j’ai bien connue rencontrée quelques années plus tard chez des Amis communs.
Le convoi s’arrête, quelques miliciens rassemblent tous les hommes qu’ils trouvent dans la salle des fêtes, avec priorité de trouver un nomme Dézamais Léon ; elle m’avoue, avec un peu de honte, que son père avait donné l’adresse de mes parents, qu’il connaissait très bien ayant été voisin et mineur tous les deux ensembles.
Mes Parents ont eu la visite de deux gendarmes accompagnés d’un » civil « . Ils ont fouillé un peu partout dans la maison, ils ont pris mes papiers et tout ce qui m’appartenait. Tout s’est arrêté là, personne n’est revenu.
Entré dans ce Camp de Résistance le 1er juillet 1944, j’ai participé à la contre-attaque de Bouillole, la libération de Montluçon, de Moulins.
Puis regroupés au Quartier Taguin à Moulins, ou il fût demandé des volontaires pour continuer le combat, et qui constituèrent le « Régiment d’Auvergne », ce qui nous à conduit jusqu’à Maiche dans le département du Doubs. Ville de concentration des Armées régulières, où nous étions toujours indépendants, mais nourris par cette dernière. Nous sommes en novembre 1944. N’ayant pas signé pour la durée de la guerre, j’ai été démobilisé avec la distinction de 1ère classe, le 23 décembre 1944.
Et j’ai repris la vie civile.
. »
Mémoire et histoire.
De cet épisode de l’histoire de la seconde guerre mondiale dans le département de l’Allier, si l’Histoire devait en retenir quelque-chose, ce serait tout au plus l’allusion à un accrochage entre un petit groupe de maquisards et un convoi Allemand… Un entrefilet insignifiant.
Que ce soit le témoignage de Jean-Louis Ameurlain repris par André Sérézat dans son ouvrage « Et les Bourbonnais de levèrent » ou le récit de Léon Dézamais, les pièces de la mémoire sont d’une autre richesse, d’une autre ampleur, criant d’authenticité… Elles ont l’épaisseur, la chaleur et la fragilité de l’humanité. Elles peuvent contribuer à la consolidation des connaissances en mobilisant des émotions que les pages imprimées des livres d’histoire ne sauraient éveiller.
Quand bien même elle serait imparfaite, la connaissance éveillée par la mémoire suscite aussi la curiosité pour accrocher le présent au passé dans une relation « d’homme à homme »… au risque d’envisager l’avenir dans un continuum d’action plus que d’observation ; la citoyenneté est affaire d’acteur plus que de spectateur.