Objectif : compliquer le repli
En ce 31 août 1944, le sort de Rongères a failli basculer dans le drame. Une colonne allemande surpuissante est en route vers le Nord-Est, bien décidée à annihiler toute forme de résistance. Au matin de ce jeudi de l’été 44, elle se présente aux abords du petit village de Rongères, et elle est attendue. Durant quelques heures, c’est un déchaînement de violence, qui marque durablement la mémoire d’une population traumatisée.
Les troupes allemandes harcelées.
Depuis les débarquements de Normandie (6 juin) et de Provence (15 août), les troupes d’occupation allemandes reculent dans un vaste mouvement vers l’est et le nord-est. Après les combats du Mont-Mouchet (10 et 11 juin) et du réduit de la Truyère (20 juin, ) les maquisards ont pour mission de harceler les convois allemands traversant l’Auvergne et le Bourbonnais. Clermont libérée le 27 août sous les vivats de la population, des FFI de la colonne rapide « Eynard » se lancent à la poursuite des Allemands suivant un axe sud-nord. Un premier accrochage a lieu à Brout-Vernet le 29 août (5 tirailleurs tués). Regroupée à Chazeuil depuis le 27 août, une colonne allemande forte de 700 véhicules et précédée de blindés tente de forcer le passage en direction d’Autun-Dijon. Elle est annoncée à Rongères pour le 31 août .C’est une horde harassée, excédée par le harcèlement permanent, et rompue au combat même dans la retraite qu’une compagnie de FFI va attaquer !
L’embuscade.
La compagnie du capitaine Dutter, dit « Bonneval », venant du maquis de Pleaux dans le Cantal, arrive à Rongères le 30 août avec ses 25 hommes le lendemain matin. Un groupe prend position dans le clocher (en photo, le clocher où un FM a été mis en batterie), offrant une vue dégagée sur la route Varennes-Boucé que doit emprunter la colonne ennemie. Deux autres groupes sont positionnés dans les fossés au bord de la route et au carrefour de la route de Montoldre.
Juste avant l’arrivée de la colonne, André Coudry (15 ans) et Georges Stanislas (20 ans), sont envoyés en éclaireurs en direction de Varennes. Au même moment un agent de liaison vient avertir les avant-postes que la colonne allemande est trop puissante pour être attaquée par la petite troupe, ordre est donné de décrocher, trop tard, des coups de feu éclatent.
Le récit de Pierre Cros, lui-même : « Matinée du 31 août- Le sous-lieutenant Claude (Rouppeau) agent de liaison, arrive sur sa moto. L’ordre est simple « se replier, car la colonne est dotée, précédée par des blindés ». mes camarades rouspètent…se replier? On pourrait faire un beau carton! La liaison à peine réalisée éclatent des coups de feu…Les Allemands sont déjà arrivés et s’en prennent à mes camarades disposés sur le village. La colonne ne nous a pas repérés. L’automitrailleuse s’avance, la tourelle s’ouvre, un homme apparaît, lorgnant vers le village avec ses jumelles. Je donne l’ordre de se préparer au repli, mais en laissant un souvenir! Besson, 18 ans, excellent tireur, pointe le FM sur l’Allemand dont le torse émerge de la tourelle. je lui dis : » Pas de rafale, tu nous ferais repérer. » Un coup, deux coups, l’Allemand s’effondre, plié. En dessous on le balance dans le fossé pour dégager l’accès. Quelques coups à la balle traceuse qui nous semble enflammer le moteur…Nous sommes derrière un petit mur. A l’étage de la maison, à la fenêtre, une mamy nous crie « Mouche, mouche, vous avez fait mouche!- Tais-toi la vieille, tu vas nous faire repérer… ». Repli en bon ordre jusqu’au village. Les Allemands cherchent à se rapprocher du village.La compagnie en position de défense. Des tireurs dans le clocher arrosent les « Chleus »…La compagnie décrochera ensuite. »
Surpris par le déclenchement de l’attaque, les deux « voltigeurs » sont pris sous le feu ennemi. André Coudry parvient à se réfugier dans une ferme en bord de route, et à prendre des habits de garçon de ferme. Mais Stanislas est à découvert, il est blessé à une jambe par un éclat de mortier rasant, et ne peut rejoindre le village. Tandis qu’il arrangeait un pansement de fortune sur sa jambe blessée, il est rejoint par les soldats allemands qui l’achèvent d’une balle en pleine tête. Il venait tout juste d’avoir 20 ans, et s’apprêtait à rejoindre sa famille.
La route de Varennes à Boucé, lieu de l’embuscade, avec la ferme de La NÔ
Les représailles.
Dès les premiers coups de feu, la colonne s’arrête et les Allemands se ruent dans les fermes les plus proches, pour en déloger d’éventuels tireurs. La ferme de Monsieur Forest se trouve à l’endroit précis de l’attaque, la petite cour est rapidement garnie de voitures transportant les officiers allemands. Des soldats pénètrent dans l’habitation et entraînent les occupants à l’extérieur. Il y a là Monsieur Jean Forest, son gendre Monsieur Vincent, un commis de ferme et un cycliste qui passait sur la route et que les Allemands ont arrêté. Tous les quatre sont alignés dans le fossé et mis en joue. Non loin de là, à la ferme de « La Nô », chez les Durif, c’est la panique : un camion allemand est en feu juste devant, les soldats en sautent et se ruent dans la maison. Le grand-père se cache en toute hâte derrière le tas de bois, quant aux femmes présentes, Madame Durif, sa sœur , sa nièce, sa mère et sa grand-mère, elles n’ont d’autres ressources que de se réfugier dans une chambre ; des Allemands les font sortir et les alignent le long du pré, au bord de la route, sans doute pour les exécuter elles aussi ; à ce moment-là arrive un officier aux cheveux blancs qui donne l’ordre de relâcher ces personnes qui visiblement n’ont rien à voir avec l’embuscade. Le groupe des femmes terrorisées court se cacher dans un fossé rempli d’eau, il a beaucoup plu les jours précédents, mais elles n’en sortiront que le soir, pour être hébergées dans une ferme. Les hommes, eux, s’enfuient vers le Valençon et se dissimulent dans les fourrés.
Pendant ce temps, les Allemands recherchent les tireurs qui les ont arrosés d’un feu nourri ; poussant devant eux Madame Vincent, alors jeune mariée, ils fouillent les granges et les fenils, sans sucès. Ces fouilles s’accompagnent de pillages, les habitations Durif et Vénait sont saccagées, le bétail tué et découpé à la hâte, la viande est même pliée dans les draps brodés des jeunes mariés chez les Durif. Les bâtiments sont incendiés, la grange chez Véniat, la bergerie chez Durif. Les soldats se déploient ensuite en direction du bourg de Rongères. C’est à ce moment qu’ils découvrent le jeune Stanislas blessé et l’exécutent. La fouille se poursuit dans le bourg, mais sans doute pressés d’évacuer les lieux, les Allemands n’approfondissent pas leurs recherches et ne découvrent pas les armes laissées par les FFI. Les pillages se poursuivent et des bâtiments sont incendiés. C’est vers 16 heures que les Allemands quittent les lieux, en direction de Cindré.
Trois fermes brûlent, des animaux ont été abattus, des habitations ont été saccagées, mais pas de victimes parmi la population profondément traumatisée ; cela aurait pu être bien pire…
Stèle à la mémoire de Stanislas, réalisée à la demande de la municipalité dans les années 70,
elle se situe à l’endroit où le jeune FFI a été retrouvé tué d’une balle en plein front.